mardi 24 juin 2008

Commentaire de Mr Christian Limousin

Mr Christian Limousin est enseignant et écrivain, et s'occupe depuis 1983 de l'Association-Fondation C. et Y. Zervos.

Le samedi 17 septembre 1983, j'étais à Bigeonnette, chez Jean Hélion. C'est là que j'entendis prononcer pour la première fois ce nom pour moi étrange : Szczupak. Faisant judicieusement le tour des personnes que je devais contacter pour faire connaître l'Association "Fondation Christian et Yvonne Zervos" que je présidais alors, le peintre en était venu à cette question : "Etes-vous en contact avec Yvette Szczupak ?" "Non, qui est-ce ?" Hélion me la présenta comme la "fille adoptive non adoptée" des Zervos. Il me conseilla d'entrer en contact avec elle et me donna ses coordonnées à Jérusalem. Curieusement, je sentis dans sa voix, ordinairement si bien timbrée, comme un voile, comme une gêne à en dire davantage. Rétrospectivement, je pense qu'il savait, comme le laisse d'ailleurs à supposer le livre.

Rentré à Vézelay, j'écrivis à Jérusalem. Yvette Szczupak me répondit cordialement mais de manière assez anodine, comme en retrait. Elle adhéra à notre association, reçut nos catalogues . Elle ne fut qu'une adhérente parmi d'autres et à aucun moment je n'ai songé à l'interroger sur sa vie chez les Zervos. J'ai dû échanger avec elle deux ou trois lettres plus ou moins insignifiantes (elles doivent figurer dans le lot qui nous fut "confisqué" par Christian Derouet). J'étais bien entendu loin de soupçonner qu'elle travaillait alors à peaufiner son manuscrit !

Rentré à Vézelay, j'en parlai au maire de l'époque. Il leva les yeux au ciel et me dit qu'elle pouvait peut-être encore créer des problèmes, contester le legs, etc.

Puis le temps a passé.... En 2002 ou 2003, Betty Buffington me dit qu'elle était entrée en relation avec Yvette Szczupak et que cette relation, malgré la distance, avait très vite évolué d'une manière toute amicale. Elle me fit lire son entretien avec Fernande Schulmann (dans Les enfants du juif errant : itinéraires d'émigrés, L'Harmattan, 1990). Je commençais à regretter ma timidité d'alors.

Yvette Szczupak décédée, nous décidâmes, de lui rendre un hommage (double ou triple : hommage à l'écrivain, au peintre, à la femme ...) dans la Maison Zervos de la Goulotte. C'est pour préparer cette journée que je pus lire le tapuscrit de son autobiographie. Rarement lecture m'a mis aussi mal à l'aise. Ce fut un grand bouleversement, un extraordinaire chamboulement pour moi d'apprendre ainsi les turpitudes des Zervos, les souffrances d'Yvette (et aussi celles d'Yvonne), son enfance et son adolescence fracassées. De cette lecture, je suis sorti moulu, rompu, brisé. Yvette avait soudain renversé le piédestal sur lequel se tenaient depuis longtemps pour moi les Zervos ; elle avait piétiné mes idoles. Entreprise salutaire peut-être, mais tout était pour moi à reconstruire... Je croyais (naïvement donc) les Zervos indemnes, par ex., de cet esprit partouzard qui sévit entre 35 et 39 du côté de la Côte d'Azur autour d'Eluard, Nush, Man Ray, Picasso, etc. J'interprétais la formule d'Eluard (dans une lettre d'avril 36 à Gala) : "les Zervos sont gentils, mais timides" comme " ce sont de bons bourgeois coincés".

L'Hommage eut lieu le 21 août 2005 en présence d'Ariel Szczupak, son fils, venu tout spécialement d'Israël et qui avait apporté avec lui de belles et fortes toiles témoignant du parcours artistique réalisé par sa mère depuis la rue du Bac et les leçons de Picasso. Moment d'émotion partagé avec un public nombreux dont les descendants de maman Blanche (Vaux) et de maman Phrasie (Les Chaumots).

Maintenant le tapuscrit s'est transformé en livre : Un Diamant brut. Tout est là. Sans coupures. Plus de quatre cents pages d'un long et brûlant plaidoyer qui ne peut laisser indifférent. Plus de quatre cents pages durant lesquelles Yvette clame sa vérité et tente de se reconstruire, de sortir de sa nuit et de sa confusion.

Paradoxe : si les Zervos l'ont plongée dans un profond tourment affectif, ils lui ont en même temps fourni l'arme pour s'en sortir, c'est-à-dire l'Art.

Je voudrais retenir ce beau passage (pp. 402-403) où, à Jérusalem, dans la pierraille, Yvette retrouve l'image de Vézelay et de saint Bernard ainsi que les textes sumériens (notamment les Lamentations sur Our) que Christian Zervos avait publiés dans le dernier numéro des Cahiers d'Art, poèmes qu'Yvette connaissait par coeur parce qu'en lisant et corrigeant les épreuves un "bonheur inexplicable" l'avait envahie.


Commentaire de Mr Christian Limousin; Un Diamant Brut; Yvette Szczupak-Thomas; Métailié.

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